Cendrine Nama, militante et artiste Burkinabè pour les droits des femmes, parle de sa lutte pour l’équité et les droits humains lors d’un entretien téléphonique mené par Fanidh Sanogo,  écrivaine à FemInStyle Africa.

Fanidh: Cendrine, merci d’avoir accepté de discuter avec FemInStyle Africa. Pourrais-tu partager ton parcours avec nous? Comment ton engagement dans les droits humains a-t-il commencé et sur quoi travailles-tu actuellement? 

Cendrine: Mon activisme a commencé quand j’étais assez jeune, au lycée. Je me suis intéressée aux enfants défavorisés de la rue et je voulais vraiment aider. Alors, je suis allée au palais de justice un jour, ne sachant pas vraiment si c’était le bon endroit pour demander de l’aide. Heureusement, il y a eu un juge qui m’a reçue et m’a dirigée vers des organisations spécifiques qui pourraient aider. 

De fil en aiguille, je me suis engagée avec Amnesty International parce qu’ils m’ont dit: «Sais-tu que 2 000 femmes meurent en couches chaque année au Burkina Faso?». Je n’avais vraiment aucune idée, et pour être honnête, c’était choquant. Ainsi, je me suis engagée dans un plaidoyer au niveau des structures concernées par la question de la mortalité infantile afin d’éliminer ce fléau. 

Après avoir été impliquée dans de nombreuses autres campagnes de plaidoyer pour les droits des femmes, je me suis aussi impliquée dans la mise en œuvre des instruments de l’Union Africaine à travers la campagne Play for the Union, principalement parce que la mise en œuvre des lois ratifiées dans de nombreux Etats Africains n’était pas efficace, même si ces lois avaient le potentiel de changer la vie de nombreux Africains. Avoir le fondement juridique était excellent, mais la mise en œuvre de ces lois est la seule voie vers le développement durable. Dans cette optique, d’autres militants et moi-même avons rencontré plusieurs chefs d’Etat Africains pour discuter de la manière dont nous pouvons travailler collectivement pour mettre en œuvre les lois ratifiées de l’Union Africaine au niveau de l’Etat.

Fanidh: Whaou, ta confiance en toi même est remarquable. Je me souviens avoir été très intimidée par le palais de justice de Ouagadougou quand j’étais enfant. Ton objectif a-t-il changé compte tenu de la crise sécuritaire actuelle dans le pays? 

Cendrine: Avec le problème du terrorisme actuel au Sahel, je devais définitivement m’impliquer dans les questions de sécurité. Maintenant, nous travaillons avec des femmes vulnérables, qui sont plus susceptibles d’être touchées par le terrorisme. Aujourd’hui, j’essaie de travailler sur une intervention qui démontre à quel point les femmes sont touchées par la crise terroriste actuelle dans le pays. En raison de ma position d’acteur populaire de la société civile, je reçois souvent des informations sur ce qui arrive aux femmes dans les villages et les villes attaqués par des groupes rebelles. 

Juste avant-hier, il y avait une femme et sa fille qui ont malheureusement sauté sur une bombe. Et parfois, je reçois des images très graphiques. Dans de nombreux cas, des femmes et des enfants ont été massacrés et éventrés de sang-froid. Tous ces exemples ne sont pas vraiment publics. Les problèmes des femmes restent tacites. Il est désormais clair que le gouvernement du Burkina Faso a besoin d’aide pour faire face à cette situation car il ne dispose pas des ressources nécessaires pour aborder cette question. 

Certaines femmes sont violées et maltraitées de la pire des manières possible. Il existe également des situations où le mari est «forcé» d’envoyer sa femme dans les groupes rebelles où elle est maltraitée et finalement tuée. Cela arrive parfois, même à moins de 100 km de Ouagadougou, la capitale. 

Nous parlons de la manière dont la population est touchée en général, mais nous zoomons rarement sur les luttes des femmes et leurs expériences du terrorisme au Burkina. Les femmes sont les premières victimes de cette situation. Je ne dis pas que les autres membres de la population ne souffrent pas, mais peu d’initiatives sont prises pour comprendre l’impact du terrorisme sur les femmes des communautés rurales burkinabè. Permets-moi de te dire que même si les femmes n’ont pas de voix, beaucoup d’entre elles soutiennent leur famille. Certaines d’entre elles qui doivent voyager loin pour se procurer de la nourriture ou de l’eau et sont souvent enlevées par des rebelles. 

Nous voyons aussi souvent des cas de viol dans les camps de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Les femmes touchées sont parfois âgées de 5 à 95 ans. J’ai donc décidé de trouver des partenaires qui pourraient m’aider à agir sur cette question urgente. Dieu merci, j’ai trouvé une organisation qui était prête à travailler avec moi et des communautés ciblées pour organiser des ateliers pour prévenir les conflits communautaires. En conséquence, nous avons également pu mettre un peu l’accent sur les problèmes auxquels les femmes sont confrontées en les mettant en contact avec les structures de sécurité. 

Cela a déjà facilité la prévention d’un enlèvement, la dénonciation d’un individu lourdement armé et la découverte d’un stockage d’armes. Sur la base de ce modèle mis en place, j’essaye actuellement de trouver d’autres organisations partenaires pour me rejoindre afin d’aborder cette question à une plus grande échelle. Il est urgent que les femmes soient au premier plan des débats sur la question de la sécurité au Sahel. Les femmes ont besoin d’un soutien financier et psychologique pour faire face au traumatisme qui accompagne la situation actuelle. C’est pourquoi différentes parties prenantes doivent collaborer pour une approche plus holistique.

Fanidh: Comment gères-tu toutes ces informations au niveau personnel et émotionnel? 

Cendrine: Parfois, cela peut devenir accablant, mais je reste concentrée sur l’impact positif que cela pourrait avoir sur les communautés les plus touchées par le terrorisme. Je tire beaucoup de satisfaction en m’impliquant activement dans des actions qui contribuent au développement de toute la communauté. Compte tenu de l’urgence de la question de la sécurité, je consacre actuellement ma lutte à la promotion de la paix, de la justice et de l’engagement civique en faveur de la sécurité, en mettant l’accent sur les problèmes des femmes. Nous devons œuvrer à la restauration de la dignité des femmes dans ce pays. 

Nous vivons dans des communautés où les femmes sont convaincues qu’elles n’existent pas. L’équité est un besoin vital. Aujourd’hui, ce sont les femmes qui travaillent la terre mais qui ne l’ont jamais possédée, et cette question doit être abordée par le biais du système éducatif .

Fanidh: L’éducation est définitivement un instrument central dans la lutte pour l’équité. Je comprends que l’entrepreneuriat et la musique font partie intégrante de ta vie, avec ton nouvel album, Kouman, qui signifie «Parlez», en Dioula. Comment tout a commencé et quels sont les défis auxquels tu as été confrontée?

Cendrine: La musique pour moi a commencé en 2006 après avoir remporté la compétition  Faso Academy, à travers laquelle j’ai publié mon premier album. Ma musique est toujours autour de sujets qui me tiennent à cœur. 

Équilibrer l’entreprenariat, la musique et l’activisme n’est pas facile, mais l’organisation et la discipline sont essentielles. Je me suis lancée dans l’entrepreneuriat après mon premier diplôme en gestion de projet et communication. Quand j’ai obtenu mon diplôme, j’avais 22 ans et je ne trouvais pratiquement aucun emploi. Je me souviens clairement avoir été harcelée sexuellement par de nombreux hommes qui m’offraient un emploi si je couchais avec eux. Je me souviens qu’une fois, lors d’un entretien d’embauche, l’intervieweur, qui était le PDG de l’institution pour laquelle j’essayais de travailler, a posé sa main sur ma cuisse en me parlant. Après avoir giflé sa main, il a pris le verre d’eau près de lui et l’a versé sur mes diplômes et documents que je tenais.

C’est pourquoi j’ai décidé d’aborder le marché du travail sous un angle différent. Je me suis demandée ce que j’aimais faire et j’ai essayé d’en faire une entreprise. J’ai toujours su que je voulais travailler dans l’industrie créative. Mais encore une fois, démarrer une entreprise n’a pas été facile avec le sexisme et la violence structurelle contre les femmes. Heureusement, avec un fort moral, associé à de la détermination et du travail acharné, j’ai fondé Topaz, une agence de communication. Après quelques années, grâce au gain que j’ai réalisé avec Topaz, j’ai pu investir dans mon entreprise de mode, case Kamite, qui se porte vraiment bien aujourd’hui. 

Au début, Topaz a permis la création de case Kamite, mais aujourd’hui, ironiquement, case Kamite soutient Topaz. Là encore, trouver du personnel et rendre ce business durable n’a pas été facile. Il y a encore de nombreux obstacles sur le chemin, certains très effrayants, mais il est important de garder à l’esprit que rien ne peut jamais être réalisé si l’on laisse la peur prendre le dessus. La vie est pleine de risques et il est important que nous les acceptions pour réaliser nos rêves.

Fanidh: Je suis émue par la richesse et la profondeur de ton expérience. Au nom de l’équipe FemInStyle, je tiens à te remercier. Un dernier mot pour nos lectrices et lecteurs?

Cendrine: Mon conseil aux femmes Africaines est d’oser être elles-mêmes. On ne peut faire de grandes choses qu’avec ce qu’on a. Vous pourriez essayer d’être quelqu’un d’autre et vous pourriez être doué pour faire semblant. Mais tant que nous ne sommes pas nous-mêmes, il est difficile de se réaliser. Osez être vous-même! 

Vous devez également être compatissantes, connaître vos forces et vos faiblesses, sachant que ces faiblesses sont ce qui vous rend humaines et résilientes. Donc, ce que je voudrais dire, en particulier aux jeunes femmes qui lisent ceci, c’est que l’avenir leurs appartient, et il est temps que les jeunes filles en prennent conscience. Bien sûr, rien de grand ne peut être accompli sans un minimum de risque, mais les femmes Africaines doivent oser être elles-même.